Table de matière
- Préface par Jacques Lamblin, ancien député Maire de Lunéville
- 1. Introduction
- 2. Limites de la civilisation industrielle
- 2.1 Remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables
- 2.2 Relation entre croissance mondiale et consommation d’énergie
- 2.3 Énergie Nucléaire
- 2.4 Engagements politiques et réalité
- 2.5 Financements, risques et opportunités
- 3. Alternative à la croissance illimitée : quelques réalisations
- 4. Ecoquartiers à 2000 Watts
- 4.1 Buts poursuivis par les écoquartiers 2000 watts
- 4.2 Planification d’un quartier
- 4.3 Organisation sociale d’un écoquartier 2000 watts
- 4.4 Ecoquartiers 2000 watts en cas d’épidémie
- 4.5 Techniques mises en l’œuvre
- 4.6 Exemple du quartier Kalkbreite
- 4.7 Finances
- 4.8 Statuts théoriques de quartiers 2000 watts en France
- 4.9 Certifications des quartiers 2000 watts
- 4.10 Conclusion faisabilité
- 5. Changement de société – changement de philosophie
- 5.1 Prémisses de la philosophie dominante
- 6. Liberté dans la société post-pétrole de 2000 watts
- 6.1 Liberté de machines
- 6.2 Liberté des pensées
- 6.3 La liberté des puissants
- 6.4 Liberté négative
- 6.5 Liberté positive
- 6.6 Liberté durable?
- 7. Égalité de 2000 watts
- 7.1 Notions culturelles de l’égalité
- 7.2 Égalité complexe avec diversité
- 7.3 Égalité simple de clones
- 7.4 Identités
- 7.5 Égalité de consommation d’énergie
- 7.6 Évolution historique de la notion de la Justice
- 8. Fraternité
- 8.1 Modèles destructeurs de fraternité
- 8.2 Fraternité par une démocratie semi-directe
- 8.3 Fraternité de coopérative
- 8.4 Justice restaurative
- 8.5 Fraternité avec la Création
- 8.6 Conclusion sur la devise de la République
- 9. Limiter le pouvoir de l’argent sur l’esprit humain
- 9.1 L’insatiabilité de Mammon
- 9.2 Trois notions de la propriété
- 9.3 Quant sommes-nous satisfaits de notre richesse ?
- 10. Se débarrasser d’esclaves machines
- 10.1 Très brève histoire de l’esclavagisme
- 10.2 Luttes contre l’esclavagisme
- 10.3 Conclusion sur les esclaves machines
- 11. Relations entre le centre et la périphérie des empires
- 12. Conclusion
Chapitre 1
Introduction
Beaucoup de professionnels réalisent un travail important dans d’innombrables domaines ; ils multiplient des connaissances très utiles pour l’humanité. Ces connaissances nous permettent de créer des sociétés toujours plus complexes, au risque de perdre de vue les articulations entre ces domaines. Les experts sélectionnent et écrivent des volumes sur des sujets toujours plus pointus. Autrement dit, les spécialistes écrivent toujours plus sur toujours moins. La tendance absurde de cette perspective mènerait les meilleurs spécialistes à bientôt savoir quasiment tout sur quasiment rien.
L’inconvénient du travail réduit à une discipline est que la vision d’ensemble de ce que fait la société humaine est rare ; souvent, les spécialistes n’ont même plus une vision globale de leur propre métier. Pour cette raison, les universités ressentent un besoin croissant de créer des laboratoires interdisciplinaires, comme le Transdisciplinary Lab de l’Ecole polytechnique de Zurich, dont il va être question dans ce livre. Réunir des experts de différentes disciplines n’est pas facile, car chaque domaine utilise son propre langage qui peut paraître hermétique pour les non-initiés.
En pleine crise de la Covid-19, Edgar Morin a dit : « Comment confronter, sélectionner, organiser ces connaissances de façon adéquate en les reliant et en intégrant l’incertitude. Pour moi, cela révèle une fois de plus la carence du mode de connaissance qui nous a été inculqué, qui nous fait disjoindre ce qui est inséparable et réduire à un seul élément ce qui forme un tout, à la fois un et divers. En effet, la révélation foudroyante des bouleversements que nous subissons est que tout ce qui semblait séparé est relié, puisqu’une catastrophe sanitaire catastrophise en chaîne la totalité de tout ce qui est humain »[1].
Sans une vision d’ensemble, on ne sait plus s’orienter. En effet, si certains donnent priorité aux problèmes écologiques et climatiques et acceptent une décroissance économique, d’autres voient le chômage et la pauvreté et demandent davantage de pouvoir d’achat. Les uns disent qu’il faut faire des économies d’énergie en créant des voitures plus petites, les autres répondent qu’il faut fabriquer des véhicules hauts de gamme plus rentables - les 4x4 se vendant plus facilement et engendrent davantage de bénéfices pour l’entreprise. Certains veulent réduire la circulation des voitures alors que d’autres en dépendent de plus en plus ; ce qui nous a conduits au mouvement des gilets jaunes, et a accentué l’opposition entre les centres urbains et les communes rurales - opposition vieille de 5 000 ans - qui sera développée au chapitre 11.
Il n’est donc pas étonnant que beaucoup de philosophes et d’artistes trouvent la vie humaine absurde et vide de sens. Jean Viard a dit sur une chaîne d’information le 16 janvier 2020 : « Le pessimisme se nourrit principalement du manque de perspective, les Français ne savent pas où ils vont ». « Sans vision le peuple se détraque » disait un roi des anciens Hébreux selon la traduction de Chouraqui. Les angoisses, dont les sources ne sont pas identifiées, risquent de pousser nos sociétés vers des extrêmes politiques que nous ne souhaitons pas. « Ce qui bloque, c'est qu'on ne sait pas à quoi ressemble une société sans carbone qui soit agréable à vivre » disait Anne-Lorène Vernay, professeur à Grenoble Ecole de Management [2]. Les écoquartiers 2000 watts montrent à quoi pourrait ressembler une société sans carbone et ils donnent aussi une vision au reste de la société.
Plutôt que d’écrire plusieurs livres spécialisés, chacun dans un domaine particulier, dans lesquels le lecteur ne verra pas les dépendances entre les sujets, j’ai choisi de développer dans un seul livre les sujets les plus importants pour la transition vers la société post-pétrole, une « société de 2000 watts ». Mon approche n’est pas celle d’un chercheur qui, devant un nouveau phénomène cherche une nouvelle théorie, mais celle d’un ingénieur devant un grand défi, qui cherche des solutions pratiques aux problèmes divers, des solutions à la fois techniques, sociologiques et humaines.
Une des thèses du livre est que la société civile doit proposer des modèles de vie pour la neutralité carbone qui permet aux politiciens de communiquer une vision positive. Sans une vision d’écologie positive et créative, les États continueront à décider, comme depuis 25 ans, de réduire les émissions de CO2 tout en les augmentant. Depuis plus de 10 ans, à travers les écoquartiers 2000 watts, une partie de la société civile montre des solutions concrètes qui donnent envie d’être imitées plutôt que d’être combattues par des manifestations violentes. Ces quartiers montrent aussi que, sans un changement des priorités des habitants, il n’est pas possible de réussir la transition vers la société de 2000 watts. Sans changement des priorités et des valeurs, nos sociétés continueront sur la voie des 25 dernières années : annoncer des réductions des émissions de CO2 et pratiquer le contraire. Une analyse critique des valeurs de notre société moderne et mondialisée paraît donc indispensable, car les valeurs dominantes d’une société influencent la direction qu’elle prendra sur la voie vers la société post-pétrole.
Au cours de ces 15 dernières années, le Soudan et la Syrie ont connu des sécheresses qui ont augmenté les tensions dans les deux pays et contribué au déclenchement de deux guerres civiles extrêmement meurtrières et destructrices. Cependant, les conséquences de ces sécheresses auraient pu être affrontées par un élan de solidarité au sein de chacun de ces pays et avec l’aide d’autres pays ; mais elles ont été aggravées par des guerres civiles.
La haine entre Sunnites et Chiites, tel qu’elle s’exprime en Syrie, remonte à la deuxième guerre civile inter-islamique, pendant laquelle le clan du quatrième calife Ali (ancêtre des chiites) est tué en 680, suivie de la troisième guerre civile qui s’achève avec l’extermination du clan des Omeyyades (ancêtres des sunnites) entre 744 et 750 par les Abbassides. De telles haines, entretenues et nourries pendant des siècles, empêchent la solidarité indispensable pour surmonter des crises comme une sécheresse grave.
Au Soudan, le pouvoir central méprisait les tribus du Darfour au lieu de soulager leurs souffrances dues à la sécheresse, apportant ainsi du soutien populaire aux rebelles. Pour réussir la transition vers une société post-pétrole, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur les valeurs dominantes d’une société, des valeurs qui facilitent ou compliquent cette transition.
En fonction des valeurs dominantes d’une société, une crise peut y engendrer une solidarité active ou bien y déclencher une guerre civile, si cette société se compose de groupes qui se détestent et si cette haine est nourrie par le pouvoir en place. En cas de divisions hostiles, le collectif qui gouverne agit pour conserver sa main mise, car il sait qu’en la perdant, … Vae Victis ! Malheur aux vaincus !
En tant que responsable d’un groupe pour le dialogue interreligieux, j’ai vu, depuis trente ans, combien il est nécessaire de comprendre l’histoire de la culture d’autrui. Le communautarisme identitaire montre la tendance à considérer ses concitoyens comme des étrangers à éviter, voire comme des ennemis : il est source d’opposition alors qu’une ouverture à l’histoire de la culture de l’autre, avec ses qualités et ses défauts, permet de comprendre et d’accepter les points de vue différents et peut aider à réduire le potentiel d’un conflit. C’est pourquoi, j’essaye de donner une petite profondeur historique à chaque sujet, non pas pour juger ou condamner le passé, mais dans le but d’illuminer un peu le présent et de faire connaître l’arrière-plan des cultures les plus représentées en France.
De plus, la devise de la République française - Liberté, Egalité, Fraternité - présente des qualités fondamentales pour bâtir une société post-pétrole. Une autre thèse de ce livre est qu’une bonne compréhension de cette devise est également indispensable pour éviter des crises écologiques et sociales graves, et pour créer une société écologiquement, socialement, et économiquement durable.
A titre expérimental, une telle société existe depuis environ 10 ans dans des écoquartiers 2000 watts, issus d’une initiative de l’Ecole polytechnique de Zurich, en Suisse. Ces 2000 watts correspondent à une consommation d’énergie permanente moyenne de 2000 watts ou 48 kWh par jour et par personne tous les jours de l’année, toutes consommations comprises ; un niveau de consommation considéré comme étant durable.
Notre qualité de vie est liée en grande partie à notre consommation d’énergie. Or, dans le monde, 80 % des énergies consommées sont d’origine fossile. Le chapitre 2 montrera pourquoi toutes les énergies fossiles ne peuvent être remplacées par des énergies renouvelables et donc la nécessité de chercher de nouveaux modes de vie pour maintenir une bonne qualité de vie. Car nos ressources se raréfient et la transition vers une société post-pétrole risque d’être conflictuelle. Avant même d’avoir atteint les limites de notre système, les tensions dans nos sociétés sont déjà relativement fortes : la haine et la hargne croissent dans la lutte pour capter « chacun son dû ». Une vision pour une société post-pétrole doit donc aussi inclure des réflexions sur la source et la gestion des conflits, souvent réglés par la justice de l’Etat. Cependant, la justice française ne parvenant pas à suivre toutes les procédures actuelles, elle ne pourrait pas supporter une judiciarisation comme elle existe aux Etats-Unis où des procès pour dommages et intérêts s’ouvrent pour tout et contre tout. Il existe pourtant une forme de justice qui contribue à la réconciliation plutôt qu’à l’augmentation des tensions. Elle pourrait jouer un rôle non négligeable pour réussir la transition vers la société post-pétrole et ses nombreux conflits à apaiser.
Grâce à la création d’écoquartiers qui bénéficient des dernières techniques dans le domaine du bâtiment, l’Etat et d’autres institutions contribuent d’une manière importante à la réduction de la consommation d’énergie et à l’accompagnement vers une société post-pétrole. Les actions de ces institutions peuvent ainsi mener vers une société de 3500 watts puis, par les choix de ses habitants, progresser vers une société de 2000 watts (détails au chapitre 4).
Mais dans nos sociétés individualistes et de consommation de masse, l’augmentation du pouvoir d’achat est un dogme : aucun candidat à la présidence du pays ne serait donc élu avec un programme promettant une lente baisse généralisée pendant les prochaines 30 années. Pourtant, pour évoluer vers une société post-pétrole, une diminution du pouvoir d’achat individuel arrivera de gré ou de force, engendrant un mouvement de solidarité ou de conflit, sans perte de qualité de vie ou avec perte et tristesse, avec 2°C ou 4°C de réchauffement climatique.
Si nous voulons réussir la transition vers une société post-pétrole démocratiquement, pacifiquement, sans perdre en qualité de vie, mais en diminuant le pouvoir d’achat, une réflexion sur la nature de l’argent et son influence sur l’esprit humain me paraît nécessaire (détails au chapitre 9). Certains quartiers 2000 watts expérimentent d’ailleurs des stratégies prometteuses.
L'Agence Internationale de l'Energie (AIE) ne cesse de souligner qu'une grande partie des économies d'énergie doit passer par des changements de comportement de la population. Une réflexion sur les valeurs et priorités que nous accordons dans nos choix en tant que consommateurs et citoyens s’impose donc, afin de maintenir une bonne qualité de vie tout en réduisant notre consommation d’énergie jusqu’à un niveau considéré comme étant durable. Cette réflexion est évidemment exprimée sous l’influence de mon arrière-plan culturel et il est à souhaiter que chacun trouve dans ses propres racines culturelles des valeurs et des priorités compatibles avec une société 2000 watts.
C’est pourquoi, ce livre analyse la philosophie dominante de notre société et développe les aspects sociologiques, philosophiques et pratiques du fonctionnement d’une société à 2000 watts. Il contient donc de nombreuses propositions concrètes, réalisées dans plusieurs quartiers ou communautés. Il s’agit là d’un autre principe qui guide ce livre : dans une société démocratique raisonnable, une critique n’a pas plus de poids que la contre-proposition qui répond au sujet critiqué. Les observations sont donc accompagnées de propositions dans les domaines techniques, économiques, sociologiques et aussi concernant les valeurs.
Dans nos sociétés occidentales, les mauvaises nouvelles concernant l’écologie, la biodiversité et les changements climatiques s’accumulent, créant une atmosphère oppressante et un avenir incertain. Des ouvrages et des conférences aux perspectives angoissantes et paralysantes sur l’effondrement de notre civilisation industrielle se multiplient, comme le dernier livre d’Yves Cochet, ancien ministre de l’Écologie, qui propose des « solutions » après la disparition d’une grande partie de l’humanité après des guerres et d’autres catastrophes. L’un de ses conseils est une organisation entre amis et voisins pour mettre en place un cadre et un style de vie résilient, ce qui ressemble à l’esprit des écoquartiers 2000 watts.
Les catastrophes annoncées se trouvent dans un futur plus ou moins lointain ; les conséquences de nos actes présents ne sont pas encore fortement visibles. Jamais, dans le passé, l’humanité n’a dû prendre des décisions drastiques sans voir clairement les conséquences de ses actes. Pourtant, pour éviter les catastrophes climatiques et sociales annoncées, il faudrait changer notre économie et nos modes de vie maintenant. Si nous attendons jusqu’à ce que les conséquences climatiques, économiques et sociales soient assez visibles, il sera trop tard pour maintenir une vie confortable en paix. Les écoquartiers 2000 watts apportent des réponses concrètes à ce dilemme de l’humanité. J’essaierai de démontrer qu’à certaines conditions, la société de 2000 watts, dont les quartiers 2000 watts sont les champs d’expérimentation, permet de vivre confortablement dans un système durable écologiquement et économiquement. Mais avant de présenter la solution à travers les écoquartiers 2000 watts, il faut examiner les problèmes auxquels ceux-ci répondent.
Les problèmes sont nombreux et certains paraissent insurmontables. Cependant, je partage l’optimisme de Winston Churchill qui a participé au plus grand triomphe du XXe siècle en combattant la brutalité indescriptible du Troisième Reich : « Le succès consiste à aller d’échec en échec avec enthousiasme ».
Le lecteur pressé peut suivre les textes mis en gras qui résument la conclusion de chaque petit argumentaire. S’il trouve la conclusion surprenante, il peut ensuite lire les paragraphes précédents.
2. Limites de la civilisation industrielle
Résumé de ce chapitre dans la page d'accueil
Extrait du chapitre 4:
Quartiers 2000 watts
L’origine de l’idée de la réduction de la consommation d’énergie se trouve au Brésil. En 1985, le scientifique brésilien José Goldemberg s’est demandé combien d'énergie est nécessaire pour mener une vie humainement digne. Il a découvert qu’en dessous d’un seuil de 1 000 watts par personne, les humains vivent mieux s'ils peuvent augmenter leur consommation d'énergie [3]. Cependant, une fois ce seuil de 1 000 watts atteint, consommer davantage d'énergie n'améliore plus la qualité de vie, le sentiment de bien-être n’augmente plus. Il a fait les calculs basés sur le climat du Brésil. Le seuil de l’énergie nécessaire pour mener une vie digne est naturellement plus haut dans des pays plus froids.
A partir de 1995, un certain nombre de chercheurs associés à l’École polytechnique de Zurich ont repris l’idée de Goldemberg. Afin de l'adapter aux conditions locales, la consommation cible par habitant a été fixée à 2 000 au lieu des 1 000 watts, ce qui correspondait en plus à la moyenne mondiale en 1995. A l’origine, l’énergie grise [4] des infrastructures publiques n’a pas été inclue dans les 2 000 watts. Les calculs des chercheurs ont montré que les 2 000 watts permettraient de maintenir notre niveau de vie actuel, avec quelques adaptations sociales et économiques. De plus, si le mix énergétique est modifié en faveur des énergies renouvelables, cette consommation est également écologiquement durable.
Qu’on approche donc la question de l’énergie dans la société post-pétrole par les moyens financiers, ou par le minimum nécessaire pour mener une vie confortable, ou par la justice globale du partage des ressources limitées, on arrive toujours à une consommation d’énergie d’environ 2 000 watts par personne pour les pays au climat modéré.
Définir la limite de l’impact humain sur l’environnement par l’énergie possède un avantage par rapport à d’autres définitions comme le « plafond écologique », proposé par le Doughnut Economics Action Lab. La limite de 2 000 watts est chiffrable, mesurable et compréhensible pour la majorité de la population. Chaque foyer et quartier peut régulièrement faire son bilan et constater l’avancement vers le but clairement défini. La définition des 2 000 watts est pratique pour responsabiliser les habitants à avancer vers le but qu’ils ont accepté d’un commun accord.
Dans ce qui suit, il faut distinguer entre la société de 2000 watts et les quartiers 2000 watts. Les écoquartiers 2000 watts sont des modèles et lieux d’expérimentation qui devraient montrer à la société tout entière le chemin vers l’ère post-pétrole. Si l’Europe veut vraiment atteindre la neutralité carbone en 2050 comme annoncé et ainsi viser le but de la société 2000 watts, l’Europe pourrait devenir un modèle pour le reste de la planète. Depuis deux siècles, l’Europe est un modèle de production de richesses pour le reste de la planète, sauf que ce modèle est trop destructeur de la planète et n’est pas durable. A ce tournant de l’histoire humaine, l’Europe pourrait devenir un modèle de développement durable selon la société de 2000 watts. L’humanité manque terriblement de modèles positifs et l’Europe pourrait remplir ce vide. Mais il ne faudrait surtout pas faire un complexe d’infériorité si, pendant ce processus, le PIB de l’Europe baisse par rapport à celui de la Chine ou des États-Unis. Dans le monde à venir, le sommet du progrès consiste à maintenir une bonne qualité de vie avec une forte réduction des besoins d’énergie. La seule augmentation du PIB est destructrice de notre avenir et pas un symbole de grandeur. (Les photos ne sont pas dans le livre).
Le PIB augmente aussi dans une société qui utilise des voitures toujours plus lourdes qui se déplacent dans des bouchons toujours plus longs, qui jette toujours un peu plus d’aliments et d’équipements électroniques, multiplie les emballages plastiques, prescrit toujours plus de médicaments chers même à des personnes en bonne santé, pratique des interventions chirurgicales inutiles [5], construit toujours plus de logements pour un nombre croissant de ménages seuls, encourage la malbouffe et l'obésité, accélère la judiciarisation de la vie en société, rend chic de faire des vacances à l'autre côté de la planète, encourage les familles de faire élever leurs enfants par d'autres et encourage la déforestation des forêts vierges en achetant du soja pour les élevages industriels. Ce sont là des signes non de la grandeur d’une culture, mais de son déclin.
Pour les économistes et le système financier actuel, les forêts tropicales vierges n'ont aucune valeur. Les instituts de statistiques, responsables de calculer le PIB, les ignorent. Ces forêts sont pourtant reconnues comme étant les "poumons de la terre", capturent beaucoup de CO2 et jouent un rôle non négligeable pour le climat. D'après le "World Resources Institute" (WRI), la forêt vierge du Congo capture 600 millions de tonnes de CO2 par an. Mais pour le PIB d'un pays, ces forêts ne comptent pour rien. Faut-il s'étonner que les forêts vièrges soient traitées comme si elles ne valaient rien ?
Pour atteindre la neutralité carbone, l’Union Européenne prévoit d’interdire les moteurs à combustion en l’an 2035, d’augmenter le prix de la tonne de CO2 émit et de réduire la consommation d’énergie de 40%. Ce plan louable oublie un point important. Pour remplacer tous les moteurs à combustion par des moteurs électriques, il faudrait doubler la production d’électricité. La mobilité électrique consommera autant d'électricité (25 000 TWh) que toutes les autres activités humaines réunies (27 000 TWh). Cependant, un tel effort concernant la mobilité ne remplacerait qu’un quart des énergies fossiles consommées en 2019. Réduire la mobilité et les transports parait donc inévitable pour atteindre l’objectif de la neutralité carbone. Qui ose en parler ?
L'Agence Internationale de l'Energie (AIE) écrit dans son rapport sur la "Neutralité carbone en 2050" que les changements des comportements humains devraient autant contribuer à la baisse des émissions de CO2 que les gains d'efficacité énergétique de l'industrie, des transports et des bâtiments réunis. En plus, pour atteindre la neutralité carbone, deux tiers des baisses des émissions de CO2 ne peuvent être réalisés sans la participation active des citoyens [6]. Le rapport de l'AIE montre qu'il est simplement impossible de vouloir toujours un peu plus d'argent, d'espace de logement, de voitures, de vacances luxueuses, de gadgets électroniques et au même temps vouloir atteindre la neutralité carbone en 2050. L'AIE confirme en 2021 l'idée de l'école polytechnique de Zurich à l'origine des quartiers 2000 watts : les choix du mode de vie des citoyens sont primordiaux. Mais pour changer de comportements, les citoyens ont besoin d'exemples pratiques, accompagnés d'encouragements politiques et philosophiques. Ce chapitre montre des exemples pratiques du mode de vie compatible avec la neutralité carbone, visibles dans des quartiers 2000 watts. Cependant, sans comprendre la cause qui pousse les humains de vouloir consommer "toujours un peu plus", il est difficile de voir comment atteindre la neutralité carbone en 2050 dans une démocratie. Le chapitre 9 montre un aspect anthropologique des envies de consommation apparemment insatiables et comment atténuer cette tendance humaine.
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Les objectives des écoquartiers 2000 watts pour l’an 2050 nécessitent une réflexion approfondie dès le début du planning. Dans tous les domaines, la qualité prime sur la quantité, selon la phrase de Saint-Exupéry "La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer [pour une fonction donnée]".
Une étude de Gabrielle Adams, publiée dans Nature en avril 2021, montre que pour résoudre un problème, 80% des humains préfèrent ajouter quelque chose plutôt que de retirer un composant, une fonction, une phrase ou une idée. Dans huit expériences, les participants étaient moins susceptibles d'identifier des solutions soustractives avantageuses lorsque la tâche ne les incitait pas ouvertement à envisager une simplification. Cette tendance humaine à chercher des changements additifs est une des raisons pour lesquelles les gens ont du mal à alléger leurs agendas surchargés, n'arrivent pas à simplifier la bureaucratie et n'arrivent pas à diminuer les effets néfastes de leurs comportements sur la planète.
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Les institutions comme l’Etat, les HLM, ou les coopératives d’habitants, peuvent créer des bâtiments et des infrastructures similaires à ceux des écoquartiers ou des écoquartiers 2000 watts et réduire ainsi la consommation d’énergie d’environ 40% pour atteindre une consommation maximale de 3500 watts par habitant, ce qui serait un progrès considérable. Puis, pour évoluer d’environ 3500 watts de consommation moyenne permanente vers 2000 watts, les moyens d’un Etat démocratique sont limités : ce sont les changements de comportement des habitants qui devront produire cette évolution, grâce aux changements de leurs priorités et de leurs valeurs. C’est l’écologie créative et non pas l’écologie punitive qui permettra le passage à un mode de vie durable et équitable.
Choisir de vivre dans un écoquartier pour se donner bonne conscience tout en changeant son téléphone portable très souvent pour être à la mode n’est pas une attitude compatible avec la société de 2000 watts. Rappelons-nous que produire un téléphone portable consomme 250 kWh, soit cent fois plus que son utilisation pendant 2 ans, alors que s’offrir un bon repas dans un des restaurants du quartier ou regarder un film ensemble dans le petit cinéma du quartier n’augmente pas la consommation d’énergie, bien au contraire. Quarante connexions Netflix sont beaucoup plus énergivores qu'une projection de film dans un petit cinéma de quartier. La vie dans la société de 2000 watts n’est pas morne, elle est simplement un peu moins clinquante et plus humaine.
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5.4 Ecoquartiers 2000 watts en cas d'épidémie
Puisque les écoquartiers 2000 watts possèdent une vie sociale assez animée, facilitant les partages, échanges et rencontres, l’objection a été faite que ces quartiers ne sont pas compatibles avec une augmentation des risques épidémiques attendus pendant le XXIe siècle. Depuis le début de l’épidémie de la Covid-19, cette objection est régulièrement faite quand nous parlons de ces quartiers. Cependant, après avoir entendu plusieurs émissions du virologue réputé Christian Drosten de l’hôpital de la Charité de Berlin, nous sommes plutôt arrivés à la conclusion inverse. Le professeur Drosten a expliqué, entre autres, une étude sur la propagation d’une épidémie parmi des souris coureuses du désert au Kazakhstan [7]. L’étude a testé un modèle épidémiologique avec des infections réelles, à savoir Yersinia pestis, l'agent de la peste. Les chercheurs ont étudié un effet qui reflète le phénomène de la percolation [8].
Les souris coureuses étudiées vivent en groupes familiaux dans des systèmes de tunnels dont l’étendue possède un diamètre de vingt à trente mètres. Elles ne creusent pas plus loin, les groupes familiaux qui y vivent n’ont pas besoin de plus de place. Des observations ont été faites jusqu’à quatre kilomètres autour d'un centre épidémique. Au centre se trouve donc un groupe familial dans lequel l'agent pathogène de la peste a été observé. Ensuite, les chercheurs ont observé des groupes familiaux de plus en plus loin pour y détecter la peste. Si cette maladie se répandait strictement selon le concept reproductif du facteur « R », alors, après un certain délai, chaque augmentation de la densité de population dans une zone d'observation entraînera davantage d'infections partout.
Mais en réalité, l’augmentation des infections ne s’observe qu'à proximité. En testant les animaux à un kilomètre autour du groupe initialement infecté, on constate encore des infections. Mais à trois kilomètres du groupe familial central infecté, on fait une observation différente. D’abord, les densités d'animaux augmentent dans les groupes observés autour du groupe initial sans qu’il y ait des infections dans les groupes à trois kilomètres. Même si la densité d’animaux et le nombre d’infections continuent à augmenter jusqu’à un kilomètre du centre épidémique, pendant longtemps, aucune infection n’est observée à une distance de deux ou trois kilomètres. Mais soudain, on trouve des infections à une plus grande distance du foyer initial. Le nombre d’animaux infectés devait d’abord dépasser un seuil. Et comment expliquer cet effet de seuil ? Les groupes familiaux n'ont qu'un contact limité les uns avec les autres. Parfois, un animal se dirige vers une famille voisine. Mais essentiellement, ces animaux sont isolés. Pour qu'une infection saute de famille à famille à famille, il faut une plus grande densité d’animaux infectés. Mais si à la place de deux sauts d’infections, il en faut vingt, alors seule une très grande masse infectieuse dans le groupe initial peut contaminer une famille à une plus grande distance, peu importe la durée de l’observation.
Les deux épidémies, celle chez les souris coureuses et celle de la Covid-19, ont ceci en commun qu’elles se propagent fortement entre foyers de contamination. Il existe bien sûr des chaînes de transmission individuelles, mais ces chaînes se rompent parfois. La Covid-19 se transmet environ deux jours avant et cinq jours après l'apparition des symptômes. Dans cette fenêtre de temps, la maladie se répand si assez de rencontres entre humains se produisent. On peut s’imaginer que les infections se développent à un endroit et sont détectées. Ensuite, les infections ne se répandent plus depuis cet endroit, car la connectivité de ce foyer de contamination avec d’autres personnes n'est pas assez grande. Cependant, si plusieurs chaînes de transmissions individuelles relient différents foyers, alors les contaminations se répandent rapidement. Autrement dit, les contaminations se répandent rapidement quand le nombre de chaînes de transmissions a atteint un certain seuil. Il faut donc connaître cet effet de seuil pour ne pas se sentir faussement en sécurité et baisser la garde. Une fausse impression d’une épidémie sous contrôle peut soudainement devenir hors de contrôle et nécessiter des mesures drastiques comme un confinement général. L’accélération de l’augmentation du nombre de contaminations de la Covid-19 en octobre 2020, malgré les gestes barrières, a surpris des spécialistes selon leurs propres dires. Cette accélération pourrait s’expliquer par un effet de seuil. Dans une société individualiste, les réseaux de relations et de contacts entre humains sont évidemment trop complexes pour les intégrer précisément dans un modèle épidémiologique. Mais même si les calculs du seuil restent très approximatifs, l’existence d’un effet de seuil dans la vitesse de propagation de l’épidémie est réelle. Comme Christian Drosten, l’épidémiologiste français Martin Blachier a plusieurs fois insisté sur cet effet de seuil, malheureusement sans avoir le temps médiatique nécessaire pour se faire comprendre.
Du point de vue de l’épidémiologie, les quartiers 2000 watts pourraient être comparés à un groupe familial de souris coureuses. En cas d’épidémie, les quartiers pourraient fortement réduire leurs relations avec le reste de la société sans devoir se confiner individuellement. En 2020, beaucoup d’habitants travaillaient encore à l’extérieur de ces quartiers, mais quand les distances entre lieux de travail et habitations se réduiront en approchant de l’ère post-pétrole, la majorité des habitants travailleront probablement dans le quartier. Puisque ces quartiers proposent de nombreux emplois, peu de personnes seront obligées d’aller travailler à l’extérieur. Les quartiers ont des magasins, des cinémas, des restaurants, un coiffeur, des médecins ou un centre de santé, une crèche et souvent une école. En cas d’épidémie, les habitants peuvent donc avoir une vie sociale à peu près normale tout en diminuant considérablement les contacts avec l’extérieur du quartier. Puisque les crèches et écoles restent ouvertes, le télétravail est facilité. Puisque les quartiers 2000 watts possèdent souvent des studios à louer aux visiteurs ou un hôtel, les quartiers ont aussi les moyens d’isoler les rares cas de contact ou personnes infectées du quartier. Isoler une personne dans son quartier est humainement plus facile que de l’isoler dans un hôtel loin de chez elle.
Si une société est structurée par des quartiers capables de fonctionner d’une manière plus ou moins autonome en cas d’épidémie, elle ne devrait pas voir les contaminations dépasser le seuil critique qui fait exploser le nombre de contaminations. Les épidémies devraient donc rester sous contrôle sans confinement généralisé. Puisque chaque quartier est aussi capable de « tester, tracer et isoler » le petit nombre de personnes en contact avec l’extérieur, une épidémie ne pourra pas se propager comme en octobre 2020 en France.
Le 27 octobre 2020, le virologue Christian Drosten a justement proposé de créer des « petites bulles sociales » pour lutter contre l’épidémie. Les membres d’une « bulle sociale » réduisent fortement leurs contacts avec des personnes à l’extérieur du groupe pour réduire les risques de contamination. En cas de besoin, les quartiers 2000 watts pourraient se transformer en « grande bulle sociale », une option indisponible à une société individualiste. La vie pourra alors continuer normalement à l’intérieur de cette « grande bulle sociale ». Les restaurants, crèches, écoles et autres services resteraient ouverts pendant une épidémie, mais uniquement aux habitants du quartier. En revanche, structurer toute une société individualiste en des « petites bulles sociales » est difficile, voire impossible. La disponibilité de nombreux services dans le quartier améliore aussi la vie lors d’un confinement, car le quartier réduit uniquement les contacts vers l’extérieur.
Comme nous l’avons vu, la lutte contre une épidémie exigera toujours de restreindre certaines libertés, mais les restrictions nécessaires dans les quartiers 2000 watts seront moins désagréables. La promesse de nous « libérer » de la réalité physique relève de la démagogie. Il n’est pas davantage possible de se « libérer » des lois biologiques exploitées par un virus que des lois physiques provoquant le réchauffement climatique. Le fait de partager objets et services dans un écoquartier constitue un avantage certain lors d’un confinement et permet également de diminuer l’utilisation d’énergie grise et donc de ralentir le réchauffement climatique. Il est vrai que ce partage rogne légèrement sur la liberté individuelle. A propos d’une confusion assez répandue sur la notion de liberté, Chesterton, le théologien anglais, s’exprime ainsi : « Vous pouvez, si cela vous plaît, délivrer un tigre des barreaux de sa cage ; vous ne pouvez pas le libérer de ses rayures. Ne vous avisez pas de libérer un chameau du poids de sa bosse, vous risqueriez de le libérer de son état de chameau »[9]. Nous pouvons être délivrés de nos propres constructions sociales, mais pas des réalités biologiques et physiques. Malheureusement, plusieurs notions erronées sur la liberté sont assez répandues. Elles sont un obstacle à la réalisation de la société démocratique de 2000 watts et seront vues de plus près au chapitre 6.
Extrait du chapitre 10.2
Se débarasser d'esclaves machines
[...]
Sur quoi un économiste fait-il des économies ?
Depuis Descartes, les animaux ont été chosifiés et considérés comme des objets machines. L’élevage industriel est une représentation manifeste de cette pensée appliquée avec une rigueur cartésienne. A peine l’esclavage humain aboli, Mammon s’infiltre dans le monde animal. Les adorateurs de Mammon et les adeptes de l’orgueil culturel ont autrefois réduit des humains issus d’autres cultures à des objets et les ont exploités comme des esclaves. Aujourd’hui, la chosification des humains est plus subtile dans nos cultures individualistes et consuméristes, mais nous sommes sur une pente dangereuse d’une philosophie que le psychologue Barry Schwarz formule ainsi :
« Sur quoi un économiste fait-il des économies ? L'économiste D. H. Robertson a posé cette question il y a 50 ans. Sa réponse : « l'économiste économise sur l’amour ». Ce qu'il voulait dire par là, c'est qu'un système de marché compétitif amène les gens à servir leurs intérêts mutuels par désir de gain personnel. L'amour n'est pas requis. Nous pouvons donc nous débrouiller en tant que société avec moins d'amour dans un système de marché que dans n’importe quel autre. Le marché économise sur l'amour » [10].
Notre système économique est optimisé pour que nous consommions des objets, mais il néglige l’essence de la vie en société, la qualité des relations humaines. Le nombre croissant de personnes vivant seules et de familles monoparentales prouve que les humains ont des difficultés à tisser des liens sociaux durables. Un tiers des logements en France et au Japon sont habités par une seule personne, ils sont 40 % en Allemagne et 50 % en Suède. La croissance des richesses rend cette évolution possible, elle devient impossible si l'énergie disponible et les richesses produites diminuent. Aujourd’hui, les pauvres sont peut-être moins pauvres qu’autrefois, mais ils sont plus seuls. D’après une étude de l’institut BVA de novembre 2018, la solitude est une expérience personnelle régulière pour 44 % des Français et 10 % de la population sont en situation d'isolement et la plupart ont du mal à en parler [11]. En cas d’épidémie et de confinement, les souffrances mentales augmentent aussi d’une manière exponentielle. Une étude réalisée en Suède a montré que les personnes sans liens sociaux forts décèdent prématurément dans 50 % des cas. Cette solitude a le même effet que de fumer 15 cigarettes par jour [12]. De plus, loger une seule personne par appartement est incompatible avec l'impératif de la réduction de la consommation d’énergie grise. Pour répondre à cette évolution de la société, certains quartiers 2000 watts ont créé quelques logements satellites en plus des appartements habituels. Le logement satellite contient une cuisine et un salon salle-à-manger commun, donnant accès à quatre studios privatifs. Les locataires sont moins seuls, peuvent faire des économies et peuvent s'entraider s'ils apprennent à s’entendre et vivre ensemble dans les espaces communs.
Barry Schwartz observe un autre caractéristique chez les économistes :
« Plusieurs de mes collègues économistes me disent que le concept qui est le plus difficile à transmettre aux étudiants débutants en économie est le concept de coût d'opportunité. Le coût d'opportunité d'une activité est le gain que nous réaliserions en faisant autre chose. Si travailler sur un projet la nuit au lieu d'être avec des amis nous aurait rapporté un bonus de 500 $, alors ce bonus de 500 $ est le coût d'opportunité, le manque à gagner, de notre décision d'être avec des amis. Le concept de coût d'opportunité met littéralement un prix sur tout ce que nous faisons ».
En mettant un prix à tout, tout se transforme alors en objet de consommation. Les réseaux de relations sont importants dans la vie et ils vont être essentiels dans la société post-pétrole, mais en raisonnant constamment en valeurs pécuniaires, les relations se disloquent, les vraies amitiés se raréfient. Dès qu’une amitié « n’apporte plus rien », par exemple quand un ami ou une amie passe par des difficultés, elle s’évapore. La même tendance est visible dans les couples parce qu’il leur manque un projet commun et un engagement mutuel. Les promesses des mariés n’ont souvent pas plus de valeur que les promesses de certains présidents de la République.
Les relations humaines ont besoin de plus que la promesse d’un bénéfice à court terme comme dans les entreprises du CAC 40 ; elles ont besoin d’une vision commune avec un engagement. Regarder les autres à travers les lunettes des économistes revient à transformer les humains en objets et en produits de consommation. Une telle société est très mal préparée pour faire face aux crises à venir, avec une diminution inévitable du nombre d’esclaves machines disponibles, avec la nécessité de partager des objets et des services en confiance.
Par ailleurs, il serait bon de garder en mémoire que presque tous les massacres commis dans les écoles, universités et centres commerciaux sont perpétrés par des jeunes isolés, solitaire, sans réseau d’amis. D’après l’avis du président Obama, la société américaine ne peut pas lutter efficacement contre ces massacres sans réduire la désaffection que ressentent les tueurs pour leur prochain (Twitter, 23/03/2021).
Notes
[1] ˄ Le Monde, entretien avec Edgar Morin : La crise due au coronavirus devrait ouvrir nos esprits, 20 avril 2020.
[2] ˄ Est Républicain, Sobriété énergétique, « Il nous manque un imaginaire », 28 avril 2021.
[3] ˄ José Goldemberg (professeur de physique à l’université de Sao Paulo) dans « Basic Needs and Much More with One Kilowatt per Capita », 1985. Il s'agit d'une consommation de 1000 watts en permanence, 24 heures sur 24. Chaque produit que nous achetons a besoin d'énergie pour être fabriqué, emballé et transporté. Cette énergie est aussi contenue dans ces 1000 watts.
[4] ˄ L’énergie grise est la quantité d’énergie nécessaire pour produire, emballer, transporter et recycler un produit. Elle est relativement plus grande si la durée de vie d’un produit est plus courte, et elle est plus grande si un appareil est produit en Chine plutôt qu’en Allemagne ou en France parce que, avec la même quantité d’énergie, l’industrie française produit (encore) davantage que l’industrie chinoise. Détails dans le rapport « International Energy Efficiency Scorecard ».
[5] ˄ Un exemple parmi d'autres: Plusieurs milliers de kinésithérapeutes allemands pratiquant la méthode de Liebscher & Bracht. Ils évitent, entre autres, 90% des opérations de l’épaule et 80% des prothèses de genou et de hanche. La méthode de Liebscher & Bracht est reconnue par les assurances maladie du pays, mais quasiment inconnus en dehors du monde germanophone. De nombreuses opérations chirurgicales pourraient donc être évitées. Ceci baisserait le PIB et augmenterait la qualité de vie de nombreuses personnes. https://www.schmerzfrei-salzburg.at/liebscher-bracht-im-klinischen-alltag/
[6] ˄ IEA, Net Zero by 2050, A Roadmap for the Global Energy Sector, pages 67 à 68. Voir aussi "Average annual CO2 reductions from 2020 in the NZE. Table Excel, Feuille "fig_02_04", années 2046-2050: Changement de comportements et demande évitée=6339 Mt, Efficience énergétique bâtiments=2112 Mt, Efficience énergétique industrie=863 Mt, Efficience énergétique transport=1901 Mt (1Mt = 1 000 000 tonnes de réduction d'émissions de CO2). https://www.iea.org/data-and-statistics/data-product/net-zero-by-2050-scenario
[7] ˄ Coronavirus-Update no 54 de Christian Drosten sur la radio NDR, citant une étude parue dans Nature le 31/07/2008, The abundance threshold for plague as a critical percolation phenomenon.
[8] ˄ La percolation désigne un processus physique critique qui décrit, pour un système donné, une transition d'un état vers un autre. Exemple : on peut ajouter des gouttes d’eau dans un filtre à café sans que du café sorte en bas du filtre. Tant que la poudre de café dans le filtre n’est pas saturée en eau, rien ne sort. Après quelque temps, pour chaque goutte d’eau ajoutée dans le filtre, une goutte de café sort aussi du filtre. Le système « filtre contenant de la poudre de café et de l’eau » a changé d’état après avoir passé le seuil de saturation d’eau.
[9] ˄ G.K. Chesterton, Orthodoxie, page 16
[10] ˄ Barry Schwartz, The cost of living, How Market Freedom Erodes the Best Things in Life, 1994, page 22. Cité dans Os Guinness, Doing Well and Doing Good.
[11] ˄ www.bva-group.com/sondages/les-francais-et-la-solitude-sondage-bva-pour-astree/
[12] ˄ The Economist, The modern household, Nuclear Retreat, 5/12/2020
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